Réflexions sur les conditions de mise en œuvre d’une action en responsabilité à l’encontre d’un associé d’une SCI en liquidation judiciaire
La responsabilité de l’associé d’une SCI, si elle est indéfinie par application de l’article 1857 du Code civil, n’en demeure pas moins subsidiaire. En d’autres termes, l’action suppose, avant d’être engagée, que le créancier justifie d’avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale.
Mais qu’en est-il lorsque la société, débiteur principal, se trouve sous le coup d’une procédure de liquidation judiciaire ?
1. Rappel des conditions de mise en œuvre de la responsabilité de l’associé d’une SCI
L’article 1857 du Code civil applicable aux SCI dispose que : « A l'égard des tiers, les associés répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements ».
L’article 1858 du Code civil précise que « Les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale ».
2. Incidence de l’ouverture d’une liquidation judiciaire à l’encontre de la société et portée de la déclaration de créance
2.1. L’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire n’a pas pour conséquence de remettre en cause le caractère subsidiaire de la responsabilité de l’associé. Le créancier ne peut donc pas agir directement contre l’associé et doit d’abord agir vainement contre le débiteur principal, y compris lorsque la société est en liquidation judiciaire.
Par arrêt de la Chambre mixte du 18 mai 2007, la Cour de cassation a jugé que :
« Dans le cas où la société est soumise à une procédure de liquidation judiciaire, la déclaration de la créance à la procédure dispense le créancier d'établir que le patrimoine social est insuffisant pour le désintéresser ; que l'action peut être régularisée si la créance a été régulièrement déclarée à la procédure ».
La Chambre commerciale a confirmé récemment cette analyse s’agissant d’un créancier privilégié :
« En cas de liquidation judiciaire d'une société civile de droit commun, la déclaration de créance au passif de cette procédure dispense le créancier d'établir l'insuffisance du patrimoine social ; qu'il en résulte que le créancier, serait-il privilégié, qui a procédé à la déclaration de sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société, n'est pas dans l'impossibilité d'agir contre l'associé ».
2.2. La déclaration de créance au passif de la liquidation judiciaire dispense donc le créancier, privilégié ou chirographaire, d'établir l'insuffisance du patrimoine social et l’autorise à poursuivre l’associé.
2.3. Reste à déterminer si la déclaration de créance s’analyse comme une condition probatoire permettant de démontrer que les conditions de l’article 1858 du Code civil sont remplies ou s’il s’agit d’une condition ad validitatem et un préalable obligatoire à la recevabilité de l’action en responsabilité contre l’associé.
2.4. La question peut se poser dans la mesure où la formulation retenue par la chambre mixte de la Cour de cassation est ambiguë. La Cour semble en effet faire de la déclaration régulière de la créance au passif de la procédure une condition de recevabilité l’action en responsabilité contre l’associé (« l’action peut être régularisée si la créance a été régulièrement déclarée à la procédure »).
2.5. Il n’existe pas, à ma connaissance, de décision de justice qui imposerait formellement au créancier de déclarer sa créance au passif de la liquidation judiciaire comme condition préalable et indispensable à la mise en œuvre d’une action en responsabilité contre l’associé.
2.6. La doctrine semble partagée sur cette question. Un auteur[1] a pu indiquer que :
« Par le biais de la déclaration de créance, le créancier s’ouvre la voie des poursuites contre les associés indéfiniment tenus à la dette à proportion de leur participation dans le capital social. Ceci permet d’expliquer que les associés de société civile sont recevables à former tierce opposition contre le jugement ayant fixé une créance au passif de la société.
La déclaration de créance et, par suite, son admission vont donc déterminer l’importance des montants susceptibles d’être réclamés par le créancier à l’associé. Dans cette mesure, l’associé est tout autant concerné par l’admission au passif que ne l’est la personne morale débitrice. La poursuite de l’associé dépend de l’existence de la dette sociale, laquelle doit être reconnue par la procédure collective. En effet, ce n’est qu’à condition que la dette sociale soit admise au passif de la procédure collective que l’associé, débiteur subsidiaire, peut être poursuivi. Au contraire, si la créance est rejetée par le juge-commissaire, le créancier ne pourra poursuivre l’associé, la dette sociale ayant disparu du fait du rejet ».
Mais l’auteur semble ajouter à la condition de la régularité de la déclaration posée par la Chambre mixte celle de l’admission de la créance au passif[2]. Cette position doctrinale semble critiquable dans la mesure où le défaut de déclaration n'est plus sanctionné par l'extinction de la créance mais par son inopposabilité. Elle est critiquable surtout dans la mesure où la preuve de la vaine poursuite ne suppose pas nécessairement d’agir en justice alors que l’on sait que la déclaration de créance vaut demande en justice (Cass. Assemblée plénière, 4 février 2011, n°09-14619).
2.7. Un autre auteur a une position plus nuancée puisqu’il indique que :
« Les créanciers de la société doivent déclarer leurs créances lorsque celle-ci fait l'objet d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire. Mais le défaut de déclaration n'est pas sanctionné par l'extinction de la créance : le créancier de la société conserve donc le droit d'agir contre les associés, sous réserve de l'inanité des poursuites engagées contre la société »[3].
Mais cet auteur n’explique pas comment, dans les faits, le créancier pourra justifier qu’il remplit la condition tenant aux « préalables et vaines poursuites » contre une société en liquidation judiciaire et alors que le Code de commerce consacre le principe de l’arrêt des poursuites individuelles et que cette règle est d’Ordre public…
2.8. La question pourrait être abordée sous l’angle de l’associé d'une société en liquidation judiciaire qui serait poursuivi. L’associé peut-il en particulier démontrer que le créancier n'a pas vainement poursuivi la société en prouvant que le patrimoine social suffirait à le désintéresser ?
Là encore, la doctrine est divisée et aucune décision de principe n’a été rendue. L’alternative est sans doute la suivante :
Si le juge admet, cela signifie que la déclaration de créance est une simple présomption de vaine poursuite[4] et non une condition de recevabilité de l’action
A l’inverse, la réponse sera négative si on analyse la solution dégagée par l'arrêt de la chambre mixte comme une règle de fond générale et abstraite qui est étrangère à toute preuve contraire[5].
Un arrêt de la cour d'appel de Paris semble admettre[6] qu'un associé d'une société en liquidation judiciaire puisse démontrer l'existence d'un patrimoine suffisant pour désintéresser un créancier social mais la solution reste à confirmer et dans cet arrêt d’appel, le créancier avait déclaré sa créance.
2.9. Le créancier raisonnable prendra donc le soin de déclarer dans les délais sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la SCI, avant d’entamer une action contre les associés. Sur ce dernier point au moins, une certitude : le créancier ne sera pas tenu d’attendre le sort de la procédure de liquidation judiciaire ce qui, sur le plan de la prescription de l’action contre l’associé, est non seulement souhaitable mais indispensable.
Reste une question en suspens : celle des droits de l’associé dont la responsabilité aurait été retenue dans l’hypothèse, certes fort improbable, où le créancier n’aurait pas produit au passif et où la liquidation judiciaire devait finalement se clôturer pour extinction du passif.
Mais ça, c’est une autre histoire…
[1] B. Ferrari, Dalloz Actualité, commentaire de l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 20 janvier 2021 (n°19-13.539) rendu en matière de tierce opposition d’un associé d’une société civile
[2] Qui a la valeur d’une décision de justice et les créances admises ont autorité de chose jugée quant à leur montant, leur nature et leur principe
[3] Mémento Francis Lefebvre, société civile, point 20431
[4] F. Pérochon : Bull. Joly 2007 p. 1174 § 316 ; Ph. Pétel : JCP E 2007 n° 2119 ; J.-F. Barbieri : Rev. sociétés 2008 p. 137
[5] J.-J. Caussain, F. Deboissy et G. Wicker : JCP G 2007 I 179 n° 10
[6] CA Paris, pôle 5 chambre 9, 11 février 2016, n°15-07139. Même si au cas d’espèce, les juges ont rejeté la demande
Arthur FABRE